Changement climatique : quels sont les impact du digital sur l’environnement ?

En 2014, Antalis et l’agence Bambuck, ont estimé que l’affichage d’une page sur un écran pendant 3 min consommait plus d’énergie que sa version imprimée. Dans un rapport plus récent, en 2019, GreenIt, indique que le numérique consomme 5,5 % de l’électricité mondiale et génère 3,8 % des gaz à effet de serre émis par l’humanité. Aujourd’hui il est impossible de se voiler la face : le digital participe au réchauffement climatique. Pour réfléchir aux impacts environnementaux du numérique et aux solutions qui existent pour les réduire, nous avons reçu Adeline Gabay, fondatrice du département trading programmatique de Publicis et spécialiste en marketing digital et transition écologique.

Digital et environnement : un état des lieux s’impose

Pour faire un état des lieux des lieux de l’impact environnemental du digital, trois dimensions sont à prendre en compte : les émissions de gaz à effet de serre ; l’épuisement des ressources naturelles et la pollution globale. Aujourd’hui, le digital représente 3,8 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde soit plus que l’aviation civile. Selon Adeline Gabay, lorsque l’on cherche à comprendre d’où viennent les émissions de gaz à effet de serre, on accuse principalement la consommation des data centers et celle des particuliers lorsqu’ils rechargent leur téléphone. Toujours d’après l’experte en marketing digital, ces éléments expliquent en partie l’impact du digital sur l’environnement. En effet, les data centers étant généralement situés dans des pays dont l’électricité est produite avec du charbon, participent grandement aux émissions de gaz à effet de serre. Mais, malgré les croyances populaires, il ne s’agit pas la principale source de pollution : ce sont la production, le transport et la distribution du matériel utilisé pour accéder à internet (téléphone, tablette, télévision, etc.) qui polluent le plus. En effet, ils sont à l’origine de 47 % de l’empreinte carbone du numérique.

Selon TheShiftProject.com, le visionnage des vidéos en ligne a généré, en 2018, 300000 tonnes de CO2 soit autant de gaz à effet de serre que l’Espagne.

Lors de l’interview accordée à Bannouze, Adeline Gabay explique qu’aujourd’hui, 80 % des données numériques qui transitent sont de la vidéo, dont 60 % de vidéos en ligne. Pour comprendre ces chiffres, il est à noter qu’un tiers est utilisé pour les services de VOD type Netflix ; 27 % pour la pornographie ; 21 % pour Youtube puis viennent enfin les vidéos consommées sur les réseaux sociaux.

Émissions de gaz à effet de serre : des années noires à venir

Avec l’arrivée de la 4K puis celle de la 8K, les impacts environnementaux du digital risquent d’augmenter de manière exponentielle au cours des années à venir. S’il est vrai qu’aujourd’hui le transport, le bâtiment, l’agriculture polluent plus que le numérique, l’industrie du digital est celle qui croît le plus rapidement. D’après Adeline Gabay, avec 9 % de croissance annuelle, dans 5 ans, elle pourrait représenter à elle seule 8 % des émissions mondiales de gaz à effets de serre. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, le nombre d’utilisateurs ne cesse d’augmenter principalement dans les pays dits « émergents ». Ensuite, les technologies ne cessent d’évoluer, notamment avec de meilleures résolutions d’image. Alors qu’il est légitime de se demander si la 8K a un réel intérêt, sa technologie se prépare à arriver sur le marché. Tout comme pour la 5G qui permettra de télécharger en mobilité un film en 2 sec., A. Gabay se pose la question de l’utilité de telles performance à l’heure de la crise climatique.
L’experte nous rappelle que nous sommes actuellement dans une espèce de cercle vicieux. En effet, les infrastructures de transport de données ont été construites en prévisions des périodes de pic importantes. Pour éviter toute friction, d’énormes tuyaux ont été installés. Plus la taille de ces-derniers est importante et plus le nombre de données qui peut circuler est important. Par conséquent, bien que nous n’en ayons pas besoin, nous utilisons la capacité maximale de ces tuyaux et continuons à produire toujours plus de CO2 et autres gaz à effet de serre.

Quand on pense qu’on a été sur la Lune avec un ordinateur qui contenait 70 Ko de données, aujourd’hui ce serait comme y aller avec une pièce jointe.

Numérique et digital : une prise de conscience collective

Malgré l’impact du digital sur l’environnement, Adeline Gabay reste positive. Grâce à la puissance d’Internet la prise de conscience autour de la problématique environnementale est allée beaucoup plus vite. Les outils de démocratie participative y fleurissent et les exemples parlent d’eux-mêmes. Souvenons-nous de « l’affaire du siècle » qui a recueilli 2 millions de signatures, du succès des initiatives « On est prêt » et de toute la visibilité qu’ont apporté les réseaux sociaux aux associations. Sans oublier les plate-formes de financement participatif qui ont permis à des projets qui investissent dans la transition écologique de se concrétiser.
Internet a toujours été un outil de connaissances fantastique et cela continue aujourd’hui. Tout le monde connaît Wikipédia mais d’autres initiatives de connaissances participatives sont en train de voir le jour. Prenons l’exemple des applications qui permettent de faire des recensement d’animaux en danger, de cartographier des forêts et repérer les incendies ou la déforestation. Pour aller plus loi, Adeline Gabay rappelle qu’en France le gouvernement met à disposition des citoyens, associations et entreprises des jeux de données en libre accès sur son portail data.gouv.fr. Cela a par exemple permis à l’association Respire de faire une cartographie de la pollution de l’air des écoles. C’est toute la connaissance mise à disposition sur Internet qui fait surgir des initiatives pour favoriser l’autonomie, réduire le gaspillage, développer les écogestes et faciliter les réparations. Des entreprises comme Spareka permettent d’acheter des pièces détachées et mettent à disposition des milliers de tutoriels pour réparer ses électroménagers.

A un niveau plus technique c’est l’optimisation qui permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre. En effet, grâce à des capteurs de données ou des compteurs connectés pour repérer les fuites d’eau il est possible d’optimiser la collecte des déchets ou l’arrosage dans l’agriculture. Enfin, les smart grid favorisent l’autoproduction d’énergie et l’économie collaborative, notamment à travers de plate-formes de troc, de seconde main ou de partage de voiture.

Impact environnemental : un problème invisible

Spécialiste du marketing digital, Adeline Gabay nous explique que dans ce monde où tout est virtuel, tout est caché. C’est justement pour cette raison que l’on ne voit pas le pire des impacts : celui sur les sols. Aujourd’hui une donnée met en moyenne 15000 Km pour être transportée et il y suffisamment de câbles pour faire 32 fois le tour de la Terre.

Dans son livre « La Guerre des métaux rares », Guillaume Pitron traite du sujet des terres rares et de tous les métaux qui sont nécessaires pour produire le numérique mais également les éoliennes, les panneaux solaires, les batteries. L’auteur a enquêté dans les endroits de production et d’extraction de tous ces minerais. Il rapporte qu’en Chine des régions entières sont dévastées à cause de la pollution. Guillaume Pitron explique également que nombre de ces minerais sont présents dans nos sols mais, étant donné que les extractions sont extrêmement polluantes, personne n’a envie d’avoir ça dans son jardin. Puisque tout a été délocalisé, le problème est aujourd’hui invisible à nos yeux.

70 % des déchets électroniques feraient l’objet d’un trafic

S’intéresser à ce qu’il se passe dans les autres pays du monde et notamment à ce qu’adviennent de nos déchets c’est réfléchir à ses propres pratiques. A titre d’exemple Adeline Gabay raconte que dans certains pays, les enfants manipulent les déchets à mains nues.
La professionnelle du marketing digital raconte l’évolution de son métier et l’impact sur l’environnement :

« Quand j’ai commencé, tu faisais de la pub sur internet, tu avais besoin d’un adserver. Un adserver régissait tout. Après tu as eu l’adserver agence, après le DSP, la DMP, CMP, les outils d’ad verification, les doubles, triples, quadruples tracking et plus les outils s’empilent, moins tu as confiance finalement. Il y a forcément des écarts entre les outils. Par conséquent mes équipes passaient leur temps à expliquer les écarts de statistiques. Et donc en terme de productivité, pour le même service rendu, il n’y a pas beaucoup de valeur ajouté par rapport à il y a dix ans. Bien entendu, en terme de ressources et d’impact c’est affolant. »

Réduction des émissions de gaz à effet de serre : la multiplication des initiatives

Les récentes initiatives des GAFA sont un véritable symbole de prise de conscience collective. Malheureusement, cela n’est pas suffisant puisqu’ils remettent rarement en cause le cœur du business model. Alors que ce-dernier repose sur la démultiplication soit des terminaux soit des données. Selon Adeline Gabay, essayer d’utiliser les énergies vertes pour héberger les données est un premier pas dans la réduction des émissions à effet de serre. Cependant, il est important de savoir que ce système a des limites : la consommation énergétique est tel qu’elle rentre en concurrence avec d’autres usages. Ni l’éolienne ni les panneaux solaires ne seront suffisants. Nous nous retrouvons donc face à un double discours de la part des géants du digital.
La spécialiste du marketing digital et de la transition écologique nous explique qu’il existe plusieurs initiatives mais qu’elles sont peu connues. Pour le matériel quelques labels commencent à voir le jour : l’ange bleu, DCO , éco-label nordique. Pour les logiciels, un label numérique responsable porté par l’ADEME est en train de naître. En outre, en France, la loi anti-gaspillage demande aux fournisseurs d’accès de mettre l’équivalent en émissions de CO2 de chaque consommation sur les factures des utilisateurs. Là encore nous pouvons nous interroger sur l’impact réel de cette initiative qui met, une fois de plus, l’accent sur la responsabilité du consommateur. Pourtant, comme le rappelle A. Gabay, ce-dernier est pris dans des schémas qu’il ne maîtrise pas. S’il passe autant de temps à consommer des vidéos en ligne c’est parce que le design a été conçu pour capter son attention. Heureusement, pour pallier à ce système, de nouvelles initiatives apparaissent. Le groupe des designers éthiques, qui tente de proposer des alternatives, est l’une d’elles.

Diminution de la consommation : une solution efficace

Lorsque l’on demande à Adeline Gabay, quelle serait la véritable solution pour réduire les impacts environnementaux du digital, sa réponse est simple : ne rien acheter. La spécialiste explique que les consommateurs ont un réel pouvoir : en gardant leur téléphone 4 ans au lieu de 2 ans, en n’achetant pas de gadgets et en achetant d’occasion plutôt que neuf ils réduisent les émissions de gaz à effet de serre. D’autres solutions existent comme le fait de regarder la télévision sur la TNT plutôt que sur sa box ou d’éteindre sa box le soir et pendant les vacances.

Une box consomme autant qu’un réfrigérateur.

Au niveau des pouvoirs publics d’autres initiatives voient le jour. En ce moment même une mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique a lieu au Sénat, une autre sur la publicité et la transition écologique et son impact sur le modèle publicitaire français est en cours au Ministère de la Transition Écologique. Tout comme la loi anti-gaspillage récemment votée, ces débats démontrent une réelle prise de conscience. Au niveau des actions concrètes il est à noté qu’à partir de 2021 un indice de durabilité sera affiché sur les produits électriques et électroniques. De plus les mises à jours des logiciels fournis lors de l’achat doivent rester compatibles avec un usage normal de l’appareil. Apple a d’ailleurs été condamné à 25 millions d’euros d’amande par la DGCCRF pour obsolescence programmée de ses appareils.
Enfin, un Institut du numérique responsable a été créé. Le collectif de conception responsable, l’alliance GreenIt, la fondation Internet Nouvelle Génération sont autant d’initiatives qui prouvent une véritable volonté d’aller de l’avant et de réfléchir aux problématiques du digital sur l’environnement.

Pour A. Gabay, il n’est plus seulement question d’atténuer le changement climatique mais bien de réfléchir aux moyens de s’y adapter. L’heure est à la construction d’un système plus adaptable aux contraintes énergétiques, matérielles et économiques.

Pour en savoir plus sur l’impact environnemental du digital et suivre les actualités d’Adeline Gabay, vous pouvez suivre la sur LinkedIn.

Vous pouvez retrouver tous les épisodes de Bannouze sur bannouze.com et les différentes plate-formes de streaming audio.

Les sites & livres cités durant l’épisode :
-> www.antalis.fr/home.html
-> www.greenit.fr/
-> www.lesechos.fr/tech-medias/hight…limatique-1152756
-> www.franceculture.fr/numerique/le-c…e-du-numerique
-> theshiftproject.org/
-> Guillaume Pitron : La guerre des métaux rares
www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-L…-1.html

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